Françoise Roullier

Le livre d’artiste

 

 

Le livre d’artiste est une forme relativement récente de la création où l’artiste utilise le support du livre ou le concept du livre pour produire une œuvre à part entière.

Avant il est bon de s’interroger sur le processus du livre traditionnel : c’est un véhicule de mots depuis plus de 2 millénaires, depuis que les Codex de jules César ont supplanté les rouleaux trop fragiles. Le livre «  la brique élémentaire de la pensée occidentale » (Michel Melot), cet objet éminemment moderne par sa forme cubique, mathématique, industrielle, s’ouvre, se ferme, se transporte facilement. Il a véhiculé toute la pensée du monde, des religions, des philosophies, des sciences, des arts.


Le livre, qu’est-il pour nous ? Une curieuse association entre le texte et l’image, cela peut-être un objet sacré que l’on protège, défend, conserve, un objet dangereux que l’on garde secret.

Le livre m’a toujours fascinée, comme lectrice mais aussi comme artiste. Il naît du pli, du plan de la feuille que l’on plie, il devient volume, pouvoir phénoménal de cette construction sur laquelle l’artiste créé. Cette anatomie formidable me permet d’intervenir sur le contenu et le contenant, sur le concept du lien entre les pages et la couverture, évoqué par la reliure.


C’est un marqueur de la condition humaine, comme nous il est UN, complet, seul mais sa force est qu’il nous survit. Il a un début et une fin : on l’ouvre et on le ferme. Il est clos dans l’espace. Inventons des livres qu’on ne peut pas ouvrir : sarcophages des rêves inavouables ou secrets. Inventons des livres toujours ouverts, l’éternité serait le temps où les livres ne se refermeront plus tels les objets funéraires sur les tombes.


Pour moi, le livre d’artiste est un objet d’expérimentation, de recherche qui met en œuvre plusieurs processus de conception et d’exécution. Le peintre travaille, la plupart du temps sur la verticale, là l’exécution fait appel à des techniques intermédiaires contraignantes, la recherche de formes va permettre de travailler sur le volume, la feuille est pliée en cahiers, en accordéon léporéllo.
L’artiste travaille sur la recherche de la lettre, l’image est gravure, photo, peinture, dessin, graphique, typo, tous les moyens d’interprétations sont possibles. Le livre d’artiste exploite le rapport entre les matières : papier, céramique, bois, plastique, métal. L’encre peut se dissoudre dans les mots, les matières peuvent brûler, se déchirer, se fendre.


C’est un objet à dire. C’est un objet libre.
Le livre traditionnel est lisible, le livre d’artiste est senti, ressenti c’est en ce sens qu’il devient une œuvre. C’est un objet souvent unique, toujours intime, communication ultime entre le « lecteur-spectateur » et l’auteur.


Du livre, historiquement mythique, l’artiste fait un objet-livre mystérieux, arrogant, précieux, luxueux.